Aujourd’hui : « Lumière des Nations » (Ac 13-14) : où Barnabé et Paul sont choisis par l’Esprit pour « ouvrir aux Nations la porte de la foi ».
Pour lire les deux chapitres : https://www.aelf.org/bible/Ac/13 et https://www.aelf.org/bible/Ac/14
9 - « Lumière des Nations » (Ac 13-14)
L’envoi ecclésial (13, 1-3)
L’Église d’Antioche de Syrie prend le relais de Jérusalem. Mixte, juive et non-juive, elle est « chrétienne » (11, 26). Missionnaire sur place (11, 20), elle va l’être au loin. Au cours d’une célébration, l’Esprit l’invite à destiner les deux plus marquants de ses cinq dirigeants (prophètes et docteurs), Barnabé et Saul, à « l’œuvre pour laquelle, dit-il, je les ai envoyés ». Il n’en dit pas plus ; le maître d’œuvre, c’est lui ; cette « œuvre », on la découvrira quand ils reviendront. Ils sont recommandés à la grâce de Dieu par le jeûne et la prière et par un geste d’imposition des mains. Par ce geste l’Église s’engage spirituellement avec eux. À leur retour, ils lui rendront compte de leur mission (14, 27). Le récit des Actes (13-14) encadre une importante évangélisation mixte (Juifs et Nations) à Antioche de Pisidie (13,13-52) entre deux séries d’anecdotes missionnaires avant : Chypre (13, 4-12) et après : Lycaonie (14, 1-23). L’acte central est le morceau de choix qui justifie la figure universaliste de la mission sans la déraciner de sa matrice juive
1re étape : Chypre. Évangile, magie et proconsul (13, 4-12)
Eux donc envoyés - Luc souligne (13, 4) - « par le Saint-Esprit », vont d’abord à Chypre, patrie de Barnabé. L’annonce de la Parole commence par les synagogues ; mais les apôtres ont affaire, même en ce monde juif, au succès d’un mage qui pourrait contrarier l’adhésion d’une haute personnalité de la société romaine, le proconsul Sergius Paulus, « désireux d’entendre la parole de Dieu ». Il finira par embrasser la foi, « très impressionné par la doctrine du Seigneur ». Luc tient à montrer que le christianisme prend ses distances par rapport à des formes de religiosité suspectes et met l’accent sur l’écoute de la Parole. C’est à partir de là que le récit donne à Saul son nom romain de Paul. On entre en gentilité.
2e étape : Antioche de Pisidie. Évangile, Juifs et Nations (13, 13-52)
Le deuxième acte, au centre du récit, met en scène narrative le rapport entre Évangile, Juifs et Nations. Les premiers destinataires de la Bonne Nouvelle sont les fils d’Israël. C’est pourquoi Paul commence par les synagogues. Il y rencontre en même temps des sympathisants du judaïsme, attirés par sa foi et sa morale : « les craignant-Dieu » ou « les adorateurs de Dieu ». C’est à cet auditoire composite que Paul s’adresse dans la synagogue d’Antioche de Pisidie : « Israélites et vous aussi qui craignez Dieu, écoutez » (13, 16). D’entrée de jeu, il est dit que l’Évangile ne concernera pas seulement les Juifs, mais aussi les gens des Nations.
L’homélie de Paul a la même fonction que celle de Pierre à Jérusalem le jour de la Pentecôte : présenter la résurrection de Jésus comme l’accomplissement de la Promesse faite à Israël, mais un accomplissement qui dépasse Israël. Pour cela, il retrace à grands traits l’histoire sainte, une histoire où tout acte de salut est don de Dieu ; elle suit une ligne brisée (17-22) et finit par aboutir au choix de David auquel Dieu a promis une descendance (2 Sa 7), et une descendance qui ne verrait pas la corruption. Cette formulation de la Promesse est empruntée au Psaume 16 ,10 (attribué par la tradition juive à David considéré comme prophète) : « Tu donneras à ton Saint de ne pas voir la corruption. » Ce que Paul lit comme réalisant l’annonce prophétique du livre d’Isaïe (55, 3) : « Je vous donnerai les choses saintes de David. » La pensée de Paul, en rapprochant ces deux textes à la manière de l’exégèse juive, est la suivante : en ressuscitant Jésus, exempté de la corruption, Dieu a honoré sa promesse de donner à son peuple « les choses saintes », comprenez : la (descendance) sainte de David, à savoir le Saint de Dieu lui-même. Et dans cette résurrection, il l’a révélé et intronisé comme son Fils (Ps 2, 7). Cela ne s’est pas fait sans drame ; il y a eu la croix. Mais Dieu n’a pas tenu rigueur aux Juifs de Jérusalem de leur opposition. Il l’a ressuscité – à Jérusalem Pierre disait : « Il l’a ressuscité et l’a envoyé vous bénir en détournant chacun de vous ses iniquités (3, 28 ; cf 5, 31). Paul dit de même : par cette résurrection, il vous l’a donné à vous, Israélites, comme promis et, qui plus est, il vous l’a donné comme expression de son pardon, il vous a procuré par lui cette justification pleine et entière que vous n’avez pu obtenir par la Loi de Moïse (38). Il vous a donné le Saint qui vous sanctifie grâce à la foi en lui ; mais du coup, si c’est par la foi et non plus par la Loi, alors il l’a donné aussi à quiconque croit, Juif ou non Juif (13, 38-39). Prendre acte ici, dans la pensée de Luc, de la valeur salvifique universelle de la résurrection de Jésus, parce qu’elle est le don et pardon de Dieu, qui instaure Jésus comme celui qui donne l’Esprit Saint aux croyants d’Israël et à tout autre croyant sur la seule base de la foi. C’était aussi le message de Pierre à Corneille (10,43). L’homélie de Paul achoppe sur cette conclusion.
En effet, Dieu n’est pas conforme : là est « son œuvre étrange » (13, 40-41, selon les paroles du prophète Habaquq), déroutante parce qu’elle enlève à Israël, non la primauté, mais l’exclusivité du salut, en le rattachant à la foi en Jésus, non pas contre mais par-delà l’économie religieuse de la Loi. Les auditeurs des Nations sont comblés ; un certain nombre de Juifs adhèrent et même en « redemandent » le sabbat suivant (13,42). Mais bien vite aussi, devant le succès auprès de la foule païenne, se dégage une opposition juive fondée sur la « jalousie » (13,45), c’est-à-dire le zèle pour Dieu, comme ce fut le cas de Saul avant sa conversion, zèle qui prétend défendre la vraie religion et qui prendra la manière forte de l’expulsion. Les apôtres encouragent les nouveaux croyants – juifs et non juifs – à rester fidèles à « la grâce de Dieu » (13, 43, c’est bien le langage paulinien des épîtres). Mais devant le refus juif qui se maintient, Paul et Barnabé disent vouloir se tourner maintenant vers les Nations en s’autorisant de la prophétie universaliste d’Isaïe : « Je ferai de toi la lumière des Nations pour que mon salut atteigne les extrémités de la terre » (13, 47 ; cf Is 49, 6). Cette lumière est le Christ, mais elle brille par les apôtres ; elle brille dans l’Église rassemblée sur la base de la foi. L’expérience faite par Israël (expérience de pardon, de grâce) l’a projeté au-delà de lui-même.
Il ne faut pas interpréter ce langage comme si les croyants des Nations, dans la pensée de Luc, étaient destinés à remplacer les non-croyants d’Israël. Ils n’en sont pas devenus les destinataires « après coup », en raison du refus d’Israël. Ils étaient bien concernés d’emblée, eux aussi, par la promesse faite-à et réalisée-en Israël. C’est justement cette affirmation qui provoque l’opposition d’un certain nombre – et bientôt de la majorité – d’Israélites. L’épisode d’Antioche de Pisidie est paradigmatique (exemplaire) de toute la mission paulinienne. Paul ne va pas changer de stratégie : il commencera encore et toujours par les synagogues. Le même processus se répètera jusqu’à la dernière scène du récit de Actes à Rome (28, 17-31) : réaction contrastée des Juifs (accueil des uns, refus des autres), maintien de l’annonce ouverte à « tous » (gens des Nations et Juifs compris). Le véritable Israël est bien Israël, mais Israël comme récepteur de l’Évangile et du salut pour lui et pour les Nations. Réciproquement, l’Église chrétienne ne peut pas se comprendre ni se fonder en dehors de la révélation et de la promesse faites à Israël.
3e étape : Iconium, Lystres et Derbé (14, 1-23)
À Lystres, Paul et Barnabé sont pris pour Zeus et Hercule, en écho à la légende de la région selon laquelle un couple des vieillards hospitaliers, Philémon et Baucis, avait su recevoir la visite des dieux et vu leur maison transformée en temple. C’est dans ce cadre que Paul expose une théologie de la création par un Dieu bienveillant et patient, (14, 15-17), qui n’est pas sans anticiper le discours d’Athènes (17) et qui dégage un chemin pour l’Évangile. Le retour par le même itinéraire en sens inverse est l’occasion d’affermir les nouvelles communautés, d’y instituer des responsables (les Anciens, comme dans les synagogues juives) et d’y rappeler un message fondamental, bien expérimenté par les apôtres dans tout le récit précédent : « C’est par bien des épreuves qu’il nous faut entrer dans le Royaume de Dieu » (14, 22).
De retour à Antioche de Syrie (14, 25-27), ils rendent compte à la communauté d’envoi en rapportant « ce que Dieu avait fait avec eux », révélant ainsi « cette œuvre » (13,2.41) pour laquelle l’Esprit les avait choisis : « Ouvrir aux Nations la porte de la foi. »
Ouvrir la porte est un geste d’accueil, une grâce. Notre Église aujourd’hui sera-t-elle messagère d’une loi qui ferme la porte ou de la résurrection qui l’ouvre à tous ? Faux dilemme ? Pas sûr… Œuvre étrange de Dieu.
Paul Bony